Olivier d’Auzon est consultant juriste auprès des Nations unies, de l’Union européenne et de la Banque mondiale. Il a notamment publié : Piraterie maritime d’aujourd’hui (VA éditions), Et si l’Eurasie représentait « la nouvelle frontière » ? (VA éditions), Piraterie maritime, l’Afrique à l’abordage, Le Grand échiquier de Poutine, L’Inde face à son destin (Lavauzelle), ou encore La Revanche de Poutine (Erick Bonnier). Il a publié de nombreux articles sur FILD, Atlantico.fr, Sputnik, et a tenu un blog sur Huffington Post France, Québec et Maghreb. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @OdAUZON. Dans cette libre opinion, il s’intéresse à la situation qui prévaut entre d’une part les États-Unis et l’Iran et d’autre part l’alliance entre la Chine et l’Iran pour mettre en déroute, les États-Unis. Lisez plutôt.



Sans surprise, le conservateur Ebrahim Raïssi est en passe de devenir le nouveau visage dur de l’Iran. Le candidat proche du Guide suprême a été élu avec 61,95 % des voix, dès le premier tour du scrutin. Le résultat de cette élection est en mettre en perspective à l’aune de la décision de retrait de Donald Trump de l’accord sur le nucléaire Iranien JCPoA signé en 2015 par son prédécesseur.

Pour mémoire, le retrait américain de mai 2018 dénonçait explicitement un « accord mal ficelé » qui laissait de côté des sujets jugés non négociables par la République Islamique, tels que le développement de son arsenal de missiles balistiques et sa stratégie au Moyen-Orient.

Or les sanctions rétablies par 45 ème Président des Etats-Unis visaient surtout à contribuer à changer de régime (regime change) à Téhéran en s’appuyant sur l’exaspération de la population.

En l’occurrence, la politique étrangère américaine menée par Donald Trump apparaît de plus en plus comme un facteur de prolifération en particulier depuis le retrait, de Washington de l’accord de 2015 sur le programme nucléaire iranien (JCPoA). Toutefois, la décision de la République islamique de reprendre l’enrichissement de l’uranium à 20 % au début du mois de janvier 2021 est d’abord une réponse à l’assassinat ciblé d’un responsable du programme nucléaire, Mohsen Farikhzadeh, par les services de renseignement israéliens en novembre 2020. Le Guide Khamenei a quant à lui évoqué la possibilité pour l’Iran d’enrichir l’uranium à hauteur de 60 %

Somme toute, l’augmentation du taux d’enrichissement est ainsi un moyen de démontrer, selon les factions islamistes les plus dures, que les assassinats ciblés et les opérations clandestines non seulement ne freinent pas le programme nucléaire iranien mais qu’elles conduisent au contraire à son accélération.

De plus, il s’agit de faire monter les enchères face à la volonté de Washington, mais aussi de Paris et de Berlin, d’élargir le champ des négociations au-delà des questions nucléaires (programme balistique, politique régionale et Droits de l’homme).

En décidant d’augmenter l’enrichissement de l’uranium à 20 %, la République islamique espère que l’obsession nucléaire occidentale favorisera un retour à une stratégie de négociation fondée sur un échange entre levée des sanctions et restrictions sur les ambitions nucléaires iraniennes, tout en évacuant les autres dossiers.

Enfin, cette décision s’inscrit dans le contexte d’une montée des tensions militaires dans le golfe Persique : la saisie d’un pétrolier sud-coréen, en janvier 2021, atteste de la détermination de la République islamique à affirmer sa « souveraineté » dans tous les domaines y compris nucléaire.

Lorsque l’accord de 2015 a été conclu, l’objectif visé par l’Iran était de tisser des liens étroits avec les multinationales européennes pour réduire l’hostilité anti-iranienne de l’Occident.

Peine perdue, cela a été marqué par un échec car l’administration Trump a déconstruit le cadre juridique instauré par cet accord. La déception des grandes entreprises européennes, qui avaient consacré beaucoup de temps et d’argent au marché iranien, pourrait donc retarder de plusieurs années leur éventuel retour en Iran.

La perspective d’une normalisation économique ne sera, quant à elle, pas populaire parmi les élites de la République islamique au cours des prochaines années en raison de la désillusion provoquée par le retour des sanctions économiques américaines à partir de mai 2018, au moment du retrait de Washington du JCPoA.

« L’extraterritorialité des lois américaines a marqué l’échec de la stratégie du Guide suprême, qui cherchait à diviser l’Occident en laissant les « modérés » développer une politique économique ouverte aux investissements européens », tient à préciser Clément Therme, chercheur associé à l’Institut universitaire européen de Florence, dans l’ouvrage : « Joe Biden et le Moyen-Orient » publié chez Erick Bonnie.

Aussi la construction d’un nouveau partenariat économique entre l’Iran et les États européens dépend toujours de la bonne volonté de Washington et l’administration de Joe Biden pourrait souhaiter que les alliés européens jouent à nouveau le rôle de partenaire junior de Washington afin d’éviter une confrontation militaire avec la République islamique.

Nécessité faisant loi, la politique des sanctions américaine à l’égard de l’Iran couplée avec la crise de la Covid-19 souvent qualifiée de « Moment Tchernobyl » par Téhéran depuis les deux dernières années a poussé le régime, autant que le manque de solidarité efficace de la part des Européens, à reconsidérer ses partenariats. L’ouverture à l’Est et notamment vers la Chine, son premier partenaire économique, pourrait lui permettre du soutien occidental pour redynamiser son économie.

C’est ainsi que le « Lion-Dragon deal » signé en juin 2019 unira les deux pays pendant un quart de siècle, période au cours de laquelle Beijing s’est engagée à investir 400 milliards de dollars en Iran, tant dans le domaine industriel que dans les infrastructures de transport, notamment « vertes » (à savoir une liaison ferroviaire électrifiée de 500 km est ainsi prévue entre Téhéran et Mashad ainsi qu’un train à grand vitesse entre Téhéran , Qom et Ispahan) rappelle Maître Ardavan Amir-Aslani dans son ouvrage « Le siècle des défis » publié chez l’Archipel.

Etant entendu qu’il s’agit pour Téhéran d’un point stratégique et central des « Routes de la Soie » en reliant le Xiinjang à l’Asie Centrale puis à l’Europe, en passant par la Turquie. En contrepartie, la Chine pourra se fournir en pétrole et gaz iranien à tarif préférentiel.

Qu’on y songe, depuis 2020, la Chine a supplanté l’Union européenne comme premier partenaire commercial de l’Iran. En effet, après le retrait il y a trois ans de l’Amérique de l’accord nucléaire avec l’Iran du 14 juillet 2015 (dit JCPoA), les firmes européennes ont toutes suspendu leur commerce avec Téhéran, par peur de représailles du Trésor américain, ou simplement par manque de banques volontaires pour effectuer les transactions.

Par ce pacte, « la Chine applique l’un des plus vieux principes de la géopolitique : « Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Elle est la cible de sanctions américaines de plus en plus nombreuses, prises pour punir son indifférence aux droits de l’homme (à Hong-Kong ou au Xinjiang) ou son mépris de la propriété intellectuelle occidentale. Elle s’allie donc avec la Perse, pays économiquement et politiquement boycotté par les Américains depuis plus de quarante ans » souligne Renaud Girard, éditorialiste en Relations Internationales au Figaro.

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