Des plages qui disparaissent, l’océan qui avale routes, maisons, cimetières, églises, couvents animistes etc, le phénomène devient banal sur le continent, surtout sur les côtes ouest africaines. L’érosion côtière, ce phénomène naturel, qui s’accélère sous l’effet du changement climatique (l’élévation du niveau de la mer) n’épargne pas les côtes togolaises, rendant très rude la vie des populations riveraines apparemment laissées à leur triste sort.
En quarante années, l’océan a englouti plusieurs habitations, une douzaine de villages côtiers, les deux premières routes nationales numéro 2 du pays. Les rares riverains restés surplace malgré tout, vivent la peur au ventre, impuissants devant les dégâts de l’avancée de la mer, tétanisés à la vue de leurs habitations dévastées par les vagues et engloutis dans l’océan. Plus que jamais, leur hantise de se voir envahir, corps et biens, un de ces quatre matins par cet océan en fureur, est morbide.
Eux, ce sont les habitants du bord du littoral togolais vivant à la merci des vagues assassines de la mer. À Aného, Agbodrafo, Kpémé, Gbodjomé, Goumoukopé, Agbavi, Kpogan, Afidényigban, Baguida … les conséquences de l’érosion côtière constitue pour eux, un vrai cauchemar.
Dernier épisode en date à Aného : dans la nuit du 29 au 30 septembre 2015, la mer s’est à nouveau lancée à l’assaut des quartiers de Magna, Fantécomé, Légbanou, Flamani, Bokotikponou, Ela et Djamadi situés sur la côte. Aujourd’hui encore, les traces de la furie des eaux sont visibles : cocotiers déracinés, devantures d’habitations envahies, fondations mises à nu…
Défini comme un phénomène de recul du rivage dû à la diminution du volume sédimentaire en transit et à l’action des vagues sur les plages aérienne et sous-marine (CCNUCC, 2010) l’érosion côtière avale des pans entiers du rivage avec des conséquences inimaginables. Les statistiques du Centre National de Données Océanographiques du Togo révèlent que les effets de l’érosion côtière sont très importants et évalués en moyenne à 10 m par an sur 30 km.
Sol X Ray, artiste togolais de la chanson, riverain et victime de l’érosion côtière, rencontré à Gbodjomé, dresse l’état de la situation. « Le Togo a commencé à connaitre l’érosion côtière dès l’année de la construction du port autonome de Lomé en 1968. Depuis sa mise en service, il a été enregistré la disparition de douze(12) villages. Voici le constat des 30 dernières années : près de 1500 mètres de terres ont été englouties par l’océan de 1985 à 2005, une accalmie de 2005 à octobre 2013 avec une absence quasi-totale d’érosion, une érosion hyper active d’octobre 2013 à ce jour…Ces trois dernières années, l’érosion a obligé des familles entières à se reloger plus loin comme elles ont pu après la destruction de leurs habitats par l’océan et dans l’angoisse d’émigrer à nouveau si rien n’est fait pour arrêter l’érosion».
«La mer engloutit environ 8 m de côte chaque année surtout avec la construction du 3ème quai. Des maisons, des cités historiques, des couvents de fétiches, les routes. La première route distante de la mer de 2 km a été engloutie avec la construction du 3ème quai. La deuxième aussi. Nos maisons sont détruites et nos biens sont partis dans la mer. Les pêcheurs ont déserté les lieux et ont dû trouver refuge ailleurs. C’est le sauve qui peut » raconte une victime à Doévikopé, une localité située à quelques encablures seulement du port de pêche de Lomé.
« La mer nous a tout pris. Je dis tout y compris nos fétiches. Nous n’avons plus rien. Nous ne savons pas où aller parce que nos ancêtres se sont établis sur la côte depuis fort longtemps. Nous avons repris leur activité qui est la pêche. Nous avons toujours vécu ici. Regardez Monsieur (indiquant un lieu), c’est ici que tous mes cinq enfants sont nés. Aujourd’hui, notre maison a été emportée par la mer. Nous dormons à même le sol en plein air sur la musique des moustiques» s’emporte une dame, la quarantaine.
Un père de famille, pêcheur de son état raconte le drame d’une nuit cauchemardesque : « Ma famille et moi dormions une nuit quand subitement on entendait des vagues s’écraser sur notre habitation. Le temps de me réveiller, de réveiller les enfants et de nous mettre à l’abri, les murs se sont effondrés et c’était la panique générale. Nous avons dû veiller toute la nuit. En une nuit la mer a avalé la dizaine de mètres qui nous séparait des vagues. Maintenant on ne sait plus à quel saint se vouer ».
« En 15 ans, beaucoup de choses ont disparu. Des familles sont déplacées mais elles vivent toujours dans l’angoisse de reculer», relate Mimi « Gbodjomé est totalement défiguré. Là-bas, (montrant un endroit au fond de la mer) il y avait une immense plage avec des paillotes, des chambres et de l’autre côté, un village de pécheurs. Il y avait des constructions, l’océan a tout englouti ».
Même les idoles sont aux abois. Les temples vodous sont emportés à tour de rôle, les gardiens sont désemparés. « Nos terres disparues en mer se mesurent en kilomètres. Les maisons de nos grands-parents, les cimetières familiaux, nos fétiches sont tous emportés. Chaque trois ans, nos maisons sont submergées par les flots. Parfois, dans la même année, nous perdons jusqu’à huit (8) pièces sous les eaux. Il y a quelques mois j’ai dû changer de nouveau la place à mes idoles sous la pression des vagues. Nous sommes comme abandonnés, désemparés, sans secours. L’océan nous a tout pris » témoigne un prêtre vodou.
Ces localités ne seraient pas, aujourd’hui, en voie de disparition s’il n’y avait pas eu de travaux d’aménagement du Port Autonome de Lomé, estiment les riverains. « Le problème de l’érosion au Togo est accentué par l’exploitation du Port Autonome de Lomé, du troisième quai, du Port minéralier etc. » insiste un élu local. Le collectif des personnes victimes de l’érosion côtière a été mis en place en 2014 pour faire entendre raison aux autorités du Port de Lomé et les partenaires qui ont financé la construction du 3ème quai dont les activités accentuent l’érosion.
Edoh Tonoudo, le président de ce Collectif charge le groupe Bolloré, la société qui a construit le 3ème quai et s’indigne de l’attitude des autorités du pays. « C’est la construction des deux grands ports qui a amplifié l’érosion côtière et aggravé la pauvreté des gens ici. Toutes les démarches menées auprès des partenaires notamment la Banque Mondiale n’ont jusqu’alors nullement abouti, malgré la panoplie de rencontres et conférences tenues. Bolloré et la Banque Mondiale ont perdu toute sensibilité humaine. Ils ne visent que leurs intérêts rien que leurs intérêts. Et non pas les droits de la population. Les populations peuvent souffrir, mourir ; eux ils s’en fichent » s’offusque-t-il. Et d’ajouter : « Si la banque Mondiale reconnait qu’il y a des impacts négatifs causés par ce port, qu’elle dédommage les populations. Après Bolloré va suivre. Et si la responsabilité de l’Etat est engagée, lui aussi assumera ».
Un argument recevable, affirme un géographe, enseignant chercheur à l’université de Lomé, spécialiste en gestion des risques côtiers et de l’environnement littoral. « Le taux élevé du recul de la côte est dû au fait que les 40 kilomètres de côte entre le port et la frontière Togo-Bénin, constitue ce que nous appelons un segment d’érosion. Les effets des changements climatiques sur nos côtes sont de plus en plus observés. Et puis, le principal ouvrage qui perturbe la dynamique de la dérive littorale sur notre côte, ce sont les ouvrages portuaires de Lomé. En l’occurrence, la jetée principale et la digue d’arrêt des sables qui vient d’être construite », explique-t-il.
Activité économique touchée, populations désemparées
Sur place, les populations semblent résignées à composer avec le phénomène. « C’est tout notre mode de vie qui est remis en cause », indique Ange, un habitant d’Aného. La pêche, activité principale des populations riveraines est fortement perturbée. En raison de la montée du niveau de la mer et de la puissance des courants marins, elles ont, pour la plupart, préféré délocaliser leur activité sur le lac Togo, non loin d’Aného. «Au lieu d’affronter les vagues déferlantes, nous avons plutôt estimé qu’il faille trouver une autre alternative : venir faire la pêche sur le Lac Togo. Même si le rendement n’est pas ce que nous attendons, nous nous contentons quand même du peu que nous pêchons» se console Folly, un pêcheur rencontré à Agbodrafo.
Tout est englouti au fond de l’océan. « J’ai perdu ma maison. Il ne reste que les ruines et j’y habite en attendant que les vagues viennent me déloger définitivement parce que je n’ai aucun endroit où aller. Je me couche sur cette natte-là. On est dépourvu de nos activités génératrices de revenus. C’est avec l’activité de pêche que j’avais construit ma villa ici dont vous voyez ce qui reste à cause de l’érosion côtière. La mer a avalé ma vie. Les voisins qui ont les moyens ont déménagé en ville, mais moi j’y suis toujours », confie Kodjo Gbogbo, 76 ans père de 11 enfants.
Si la vie des habitants du littoral est déjà parsemée de difficultés, aujourd’hui, elle l’est encore plus. Le reste des habitants de la côte risquent de se faire déloger par la mer dont le niveau ne cesse d’augmenter. Le danger, il est présent depuis dans les localités côtières, où s’entassent des pêcheurs, des commerçants, des “débrouillards”, de petits trafiquants, de grands bandits aussi selon certaines sources.
« La population souffre et nos activités sont bouleversées. Après la construction du 3ème quai, l’érosion côtière s’est accélérée. Mon palais, de même que le cimetière sont dans la mer. Il faut que les responsables du Port Autonome de Lomé et du 3ème quai viennent nous dédommager », déplore un notable du chef du village d’Agbavi et membre du collectif des victimes de l’érosion côtière du village d’Agbavi. « Il y a quelques années de cela, on a donné 240.000 FCFA aux gens d’aller louer. Cette somme n’a servi qu’à couvrir une année d’avance de location et depuis plus rien.», renchérit un autre.
Le village Agbavi (située à une vingtaine de km à l’Est de Lomé) est l’un des plus touchés. Ici, la furie des vagues est particulièrement dévastatrice. De quoi faire vivre ceux qui ont choisi de rester à l’instar de Kokou Kouléhoho dans une peur constante. « Nous avons peur de dormir la nuit. Les vagues sont plus fortes et inondent les maisons. Je suis obligé de dormir pendant la journée et être en éveil la nuit au cas où. Personne ne se soucie de nous », dit-il. Pour lutter contre l’avancée de la mer, nous avons installé des barrages de fortune qui malheureusement, sont contournés rapidement par la mer lors des grandes marées pour pénétrer toujours plus profondément dans les terres » a-t-il ajouté.
« La localité de Gbétsogbé n’est pas non plus épargnée. Nombre de ses habitants et autres structures sanitaires et sociales ont été emportées par la mer. Ce qui a contraint une grande partie de ses habitants à la transhumance avec pour conséquence un changement d’activités de subsistance. De la pêche dont ils vivaient, ils s’essayent présentement avec difficultés à l’agriculture et au manœuvrage qui ne leur réussissent pas » raconte un habitant qui tente désespérément de vivre avec le phénomène puisque, confie-t-il, il ne sait où aller.
La solution togolaise à l’érosion
Sur le plan opérationnel, des actions de protection du littoral ont été menées avec la pose entre 1986 et 1989 des ouvrages de protection du wharf de Kpémé, de Goumou Kopé, de la mairie d’Aného et de la Cathédrale Saints Pierre et Paul, de l’hôtel Tropicana, celle des ouvrages de protection du littoral d’Aného de 2009 à 2014.
Pour le Professeur Blivi Adoté, Géomorphologue, à qui le phénomène n’échappe pas, « La ville d’Aného et la localité d’Agbodrafo vont disparaitre de la carte du Togo dans 10 ans si rien n’est entrepris dans les 3 ou 5 prochaines années pour freiner l’érosion côtière qui ronge chaque année 35m de terre sur la côte togolaise ». L’enseignant chercheur togolais, réputé chevronné a fait cette déclaration lors d’une conférence tenue à l’Hôtel Sarakawa de Lomé à laquelle prenaient part les ambassadeurs des pays d’Afrique, d’Europe et celui des USA et de l’Union Européenne accrédités à Lomé.
Comme solution efficace en vue de mettre les côtes togolaises à l’abri de l’implacable érosion, le Prof. Blivi propose le rechargement de la plage. « La seule solution qui reste pouvant permettre de résorber cette crise d’érosion est de recharger les plages ; cela veut dire qu’il faut aller chercher du sable en haute mer et venir faire de la compensation » avait-il indiqué. Un projet de requalification qui nécessite la bagatelle somme de 125 milliards de FCFA pour 50km de côte à protéger selon des recherches menées. Seule la volonté politique suffit pour y parvenir. Pour cela, un projet de protection de la côte a vu le jour.
Une solution innovante
Sur la plage de Gbodjomé, 25 kilomètres au Sud-est de Lomé, Déo Eklu-Natey, ingénieur togolais en géotechnique a imaginé une technologie pour freiner l’avancée de l’océan. Cette technologie permet d’empêcher les vagues échouées sur la plage de repartir avec du sable. Mieux, le peu de sable avec lequel ces eaux arrivent à la plage est récupéré dans des puits de 3 ou 4m de haut collés les uns aux autres. « C’est un rideau qui fait face à la , conçu pour arracher à la mer le sable qu’elle nous avait dérobé auparavant. C’est un système que j’ai utilisé pour protéger ma maison contre l’érosion marine et récupérer aussi le sable à la mer », raconte Déo Eklu-Natey.
« C’est comme les brises lames qui longent la côte et l’océan n’arrive plus. Ça s’est transformé en un piège de sable qui protège nos maisons. C’est quelque chose de provisoire et il faut de moyens immenses pour que cela soit une solution à moyen terme », explique l’artiste reggae Sol X Ray.
Contrairement aux épis (blocs de pierres que les eaux arrivent à immerger et qu’il faut manuellement charger de sable), les puits se chargent d’eux-mêmes sans aucune intervention humaine. « Chaque système a ses limites. Le système des épis avait été introduit au Togo en 1981, mais avec l’évolution, nous estimons que la présente technique est plus efficace que les épis qui ont aussi fait leur preuve dans le temps », souligne M. Eklu-Natey, le concepteur.
Les résultats de la phase pilote rassurent le gouvernement et la Banque mondiale qui apportent tout leur appui à la mise en échelle de cette technologie (Gbodjomé-Agbodrafo) à travers le projet d’investissement de résilience des zones côtières en Afrique de l’ouest (WACA-ResIp). « Elle est efficace et a donné ses résultats », salue Adou Rahim Alimi, coordonnateur du projet Waca ResIP-Togo. Les travaux basés sur la technique de puits ont déjà démarré et permettront de protéger près de 940 ménages, des habitations et les infrastructures sociaux économiques.
Ce projet d’investissement de résilience des zones côtières en Afrique de l’Ouest a pour objectif de renforcer la résilience des communautés et des zones cibles dans la zone côtière ouest africaine. Il a été conçu en partenariat avec les populations d’Afrique de l’Ouest qui vivent sur la côte et en dépendent pour leurs moyens de subsistance, leur sécurité alimentaire et leur prospérité.
Le programme appuie les efforts déployés par les pays pour améliorer la gestion de leurs ressources côtières communes et réduire les risques naturels et anthropiques auxquels sont exposées les communautés côtières. Lancé le 30 novembre 2018, au Togo, le programme WACA prévoit la réalisation d’un bon nombre d’activités dont la protection du segment entre les localités d’Agbodrafo et Aného frontière Bénin, long de 18 km, le dragage du chenal de Gbaga sur 24 km.
Somme toute, on peut se poser la question de savoir si elle peut être la solution appropriée et définitive pour un phénomène aux effets dévastateurs malgré les multiples réflexions et solutions pour la protection des côtes face à la furie de l’océan.
Reportage réalisé par Ekué Kodjo KOUDOHAH,
avec l’assistance technique de l’Association des Journalistes d’Afrique de l’Ouest (AJAO) et de la Plateforme des droits et de la gouvernance des ressources naturelles de l’Union du Fleuve Mano (Plateforme des CSO de l’UFM).