
Le 31 juillet 2018, la Conférence des Chefs d’Etats de la CEDEAO a adopté en sa 53ème session ordinaire tenue à Lomé, une feuille de route comprenant les propositions de sortie de crise. Cette feuille de route porte principalement sur la préparation des élections législatives crédibles et transparentes prévues le 20 décembre 2018 et la mise en œuvre des réformes constitutionnelles.
La Conférence a ainsi demandé à la Commission de la CEDEAO à l’issue de ce sommet (article 44 du communiqué final de la session des chefs d’Etats) d’apporter son appui technique aux facilitateurs dans la mise en œuvre de cette feuille de route. C’est donc ce qui va justifier le recrutement des observateurs électoraux, des experts électoraux et des auditeurs ainsi qu’un expert constitutionnaliste par la commission de la CEDEAO. Conformément aux dispositions de la Feuille de Route, les termes de référence de l’expert constitutionnaliste consistaient à proposer des réformes constitutionnelles qui prennent en compte notamment le mode de scrutin à deux tours pour l’élection du président de la République, la limitation à deux, du nombre de mandats présidentiels, et la recomposition de la Cour Constitutionnelle pour notamment revoir sa composition et limiter le nombre de mandat de ses membres.
L’expert constitutionnaliste a donc préparé un rapport et l’a soumis à la Commission. Ce rapport de 15 pages passe en revue, conformément aux termes de références, les mesures relatives notamment au mode de scrutin à deux tours pour l’élection du président de la République, la limitation à deux, du nombre de mandats présidentiels, et la recomposition de la Cour Constitutionnelle pour notamment revoir sa composition et limiter le nombre de mandat de ses membres. Tant dans la forme que le fond ce rapport est bien sur conforme aux attentes de la CEDEAO, étant entendu que les termes de références ont été respectés. Ce n’est donc pas étonnant que la CEDEAO se félicite d’ailleurs du rendu du Constitutionnaliste.
Par contre, la question qu’on est en droit de se poser est celle du caractère obligatoire de ce rapport ou du niveau d’obligation auquel est tenue le gouvernement d’un pays souverain comme le Togo ? Pour mieux comprendre la portée de ce rapport, il faudrait voir comment s’adopte dans un pays souverain comme le Togo, un projet de loi en conseil de ministres, et comment se vote une loi à l’assemblée.
A l’origine d’un projet de loi se trouve généralement un département ministériel. Dans tous les cas, un avant-projet est préparé par les services et le Cabinet du ministre compétent, en liaison avec le Cabinet du Premier ministre. Le texte ainsi élaboré doit être accepté par les ministres intéressés en raison du caractère collégial du Gouvernement. Cet accord est recherché au cours de réunions interministérielles. Convoquées au siège du Premier ministre, ces réunions sont présidées par un membre du Cabinet du Premier ministre et regroupent les représentants des ministres concernés. Les réunions interministérielles sont convoquées par le Secrétariat Général du Gouvernement qui en assure le secrétariat et en diffuse les conclusions après accord du Cabinet du Premier ministre.
Une fois effectuée, ce texte est examiné en Conseil des ministres, présidé par le Président de la République et devient un projet de loi. Le projet est alors déposé sur le Bureau de l’assemblée nationale. Concrètement, le texte est transmis par le Secrétariat Général du Gouvernement au service de la séance de l’assemblée concernée. Le projet de loi est constitué de trois éléments distincts, un exposé des motifs qui indique les raisons pour lesquelles le projet est soumis au Parlement, l’esprit dont il procède, les objectifs qu’il se fixe, et qui en explique les principales dispositions, un dispositif, composé d’articles, qui est la seule partie du projet à vocation normative. C’est ce dispositif qui va être discuté et, éventuellement, amendé.
Quant à la procédure d’adoption d’une loi à l’Assemblée Nationale, elle est organisée par l’article 82 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Les projets de lois et les propositions de lois sont inscrits et numérotés, dans l’ordre de leur arrivée, sur un rôle général portant mention de la suite qui leur a été donnée. Le dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale des projets de lois et propositions de lois est annoncé sans délai en séance plénière par le président. Les projets et propositions de lois qui ne sont pas du domaine de la loi peuvent être déclarés irrecevables. L’irrecevabilité est prononcée par la conférence des présidents, d’office ou à la demande du gouvernement. En cas de désaccord entre eux, le président de l’Assemblée nationale consulte la Cour constitutionnelle qui statue. Le dépôt des projets de lois et des propositions de lois n’est annoncé en séance plénière que si ces projets et propositions sont recevables. Les projets de lois et les propositions de lois sont, après l’annonce de leur dépôt, renvoyés à l’examen de la commission compétente ou d’une commission spéciale de l’Assemblée nationale.
Tout d’abord, Il est donc clair que le rapport de l’expert quoique de la CEDEAO, ne saurait déroger à la règle existante dans le pays. Si le rapport avait été déposé un peu avant l’adoption du projet de loi au conseil des ministres. Il aurait servi de support aux experts du gouvernement qui ont élaboré le projet de loi adopté au conseil des ministres du 09 novembre 2018. Il n’aurait jamais été une sorte d’obligation d’adoption pour le gouvernement mais plutôt un support de travail pour le gouvernement. Le projet ayant été voté au conseil des ministres et envoyé déjà à l’assemblée en vertu des dispositions existantes dans le pays, le rapport de l’expert sera pour les élus du peuple un support de travail qui va, selon la quintessence et surtout l’opportunité des amendements proposés, les aider à pouvoir étoffer le débat parlementaire précédant le vote.
En plus, il convient de relever le caractère théorique de la disposition proposée « Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ou proroger le mandat sous quelque motif que ce soit » proposé par l’expert constitutionnaliste. En réalité dans la pratique de l’exercice du pouvoir, une question essentielle se pose. A titre d’exemple, la Cote d’ivoire a connu une guerre civile qui a débuté en 2002, 2 ans après l’élection du Président GBAGBO. 3 ans après, sonnait la fin du mandat du Président GBAGBO. Les élections auront finalement lieu 5 ans plus tard. Une telle disposition dans la constitution ivoirienne aurait provoqué un arrêt complet du pays, un arrêt des institutions, et surtout une augmentation de la souffrance des ivoiriens, étant donné que le pays ne pouvait organiser des élections transparentes et claires sous les balles et que les institutions sont caduques si on se rapporte à la constitution.
On se demande aussi à quelles fins, le rapport sensé être transmis à la commission de la CEDEAO, le demandeur, qui devrait l’acheminer aux facilitateurs et au gouvernement togolais ait pu fuiter. Ceci peut renforcer encore le doute que peuvent avoir les acteurs politiques sur l’existence d’une arrière-pensée et sur la portée que voulait donner l’expert qui doit en théorie faire un travail sérieux et impeccable tant dans la rédaction du rapport que dans le rendu final.
Ensuite, le projet de loi du gouvernement cadre d’ailleurs parfaitement aux attentes de la feuille de route. Il est à noter que le nouvel article 59 de la Constitution fixe le mandat du Président de la République à cinq (5) ans renouvelable une seule fois. L’article 60 nouveau, quant à lui, prévoit l’élection du président de la République au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. (…) Enfin, l’article 100 nouveau limite le mandat des membres de la Cour Constitutionnelle à six (6) ans renouvelable une seule fois ».
Enfin, la CEDEAO a penché plus pour une médiation qu’une facilitation. La facilitation a pour objectif l’obtention d’un accord entre les parties. Elle partage pour cela avec la médiation des phases d’écoute mutuelle et de recherche de solutions pouvant convenir aux deux parties tandis que la médiation est avant tout un processus structuré qui permet de parvenir à une reconnaissance mutuelle des besoins. Ce processus particulier et unique à la médiation n’existe pas en facilitation. Ceci justifie en lui-même que la CEDEAO sait que la solution à la crise togolaise se trouve au Togo et aucun processus coercitif n’est nécessaire et pris en compte comme dans le cas de la crise Bissau-guinéenne.
En définitive, il serait donc important de noter que le rapport ne doit pas être pris pour un acquis par les acteurs politiques surtout de l’opposition. Il est un guide, un support qui va aider les députés à adopter le projet de révision constitutionnelle. Le Projet de loi du gouvernement étant aussi en conformité avec la feuille de route, il reviendra aux députés de voir de près si des dispositions intéressantes peuvent étoffer le projet de loi du gouvernement.
Nul besoin de préciser que si le projet n’obtient les 4/5, conformément à la constitution togolaise en son article 144 et à l’article 39 du communique de la 53ème session des chefs d’états, le gouvernement doit convoquer un referendum pour effectuer la révision constitutionnelle.